Le thermalisme au XIXeme siècle
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le 07/09/2006Les réseaux d'investissement dans le thermalisme au XIXe siècle en FranceJérôme PENEZ, professeur agrégé d'histoire, docteur en histoire contemporaine
Le XIXe siècle est le siècle de la " fièvre thermale " en France. Pour
permettre cet extraordinaire développement, l'argent est nécessaire. La
station thermale apparaît comme un eldorado où la fortune est à portée de la
main. Cette fortune n'est pourtant pas si facile à obtenir, la gestion thermale
est ingrate, et les centaines de villes d'eaux françaises ne peuvent pas toutes
obtenir un succès comparable à celui de Vichy ou d'Aix-les-Bains. Le
thermalisme français est diversité, diversité dans les réussites, diversité dans
les types de gestion (de la gestion étatique à la gestion privée), diversité dans
sa fréquentation, diversité dans ses périodes de développement, diversité dans
les moyens de son financement. Etudier l'importance ou au contraire la rareté
des réseaux d'investissement dans le thermalisme permet de lever une partie du
voile de l'histoire encore bien mystérieuse des villes d'eaux françaises.
" J'ai prévu les constructions suivantes :
1°) Un petit bâtiment de type industriel, où se feraient l'arrivée principale de
l'eau, la mise en bouteilles, les diverses opérations commerciales et
administratives.
2°) Non loin de là, un pavillon de dégustation, entouré d'un jardin. (...)
3°) Un hôtel de cent vingt chambres, d'un joli style moderne avec restaurant et
bar, donnant sur ce jardin.
4°) De l'autre côté du jardin, et relié à l'hôtel par une galerie vitrée,
l'établissement de bains et douches. Voilà ce que j'appellerai les constructions
de première zone. Celles qui sont rigoureusement indispensables. (...)
Le coût de ces constructions ? Un devis, évidemment, très approximatif, (...) le
fait ressortir à sept cent milles francs. (...) Je crois que la source a une
valeur. Mais il n'est pas raisonnable d'en attendre des miracles. Il dépend de
nous que de toute façon l'affaire ne soit pas mauvaise. Comment cela ? En
faisant de la source une raison d'être honorable, le point d'attraction autour
duquel nous développerons un pays de villégiature. (...) Le site et les environs
sont plaisants. Une petite ville d'agrément à l'usage de la région parisienne
peut y pousser aussi bien qu'ailleurs. Il suffit qu'elle trouve un peu plus de
motifs de prendre racine là qu'ailleurs. Ce léger supplément de motifs (...) c'est
notre source qui est appelée à le fournir.
Il est normal que vous vous demandiez quel intérêt propre je poursuis. Aucun
qui soit indépendant des vôtres.
Comme je crois à l'avenir de cette affaire, je veux ne rien devoir qu'à son
succès. Je ne vous demande donc ni de me racheter mes options, ni de me payer
des commissions, ni même de me rembourser mes frais. Tout ce que j'ai en
mains, je le verse à la constitution de la Société.
L'apport n'est pas négligeable, je le sais. J'espère que vous m'offrirez un
siège au Conseil, parce que je crois que je l'ai mérité, et que je puis y rendre
des services. Voilà, messieurs. A vous de décider "
Ainsi s'exprime Haverkamp, l'un des héros des Hommes de bonne volonté de
Jules Romains, dans un discours prononcé devant des actionnaires potentiels de
la société qu'il envisage de fonder pour gérer la future station thermale de la
Celle-les-Eaux, en région parisienne. Haverkamp n'est pas jusqu'alors un
spécialiste de la " gestion thermale ", il n'a même jamais dirigé d'entreprises ;
la source dont il est question il ne l'a pas découverte, elle existait déjà. La
source d'eau minérale n'est pas pour lui un moyen de soulager les souffrances
d'autrui, ni le moyen de développer l'activité des populations qui habitent à
proximité, ce qu'il recherche c'est la rentabilité et la reconnaissance de ses
qualités dans le milieu des affaires, de ses capacités de gestionnaire. Tout "
naturellement ", Haverkamp décide de créer une société " capitaliste ". Au
début du XXe siècle, à l'époque où se déroule l'action du roman de Jules
Romains, le recours au capitalisme et à des actionnaires est la meilleure
solution pour créer une entreprise, celle qui apparaît être la plus " logique ".
Bien sûr, si Haverkamp avait disposé de suffisamment d'argent peut-être
n'aurait-il pas eu besoin de faire appel à d'autres capitaux que les siens, mais
la présence d'autres financiers permet de minimiser les investissements, de ne
pas risquer son argent seulement, et de pouvoir compter sur des appuis
différents et multiples, en partant du principe que les actionnaires ont intérêt
à ce que la station thermale réussisse.
Haverkamp a bien compris que l'élément indispensable et essentiel, c'est la
source d'eau minérale, il a aussi très bien saisi que le griffon n'est qu'un des
éléments d'une ville d'eaux, les distractions, les hôtels, les villas sont
également indispensables, et doivent être financés.
L'exemple d'Haverkamp est celui d'un entrepreneur privé qui se lance dans le
thermalisme, mais ce dernier n'est pas uniquement géré par le " privé " : l'Etat,
les départements, les communes prennent une part active à l'administration des
sources hydrominérales et de l'environnement thermal. C'est une des
particularités du thermalisme que de posséder des acteurs économiques aux
statuts différents qui cohabitent pour la gestion des sources thermales.
L'exemple de la fondation " romanesque " de la station thermale de La Celle-
les-Eaux est révélateur d'une évolution dans la gestion du thermalisme : le
passage de plus en plus fréquent du public au privé ; de l'Etat, des collectivités
locales aux entreprises privées, au capitalisme, aux sociétés par actions.
Jules Romains n'est pas le seul écrivain à s'être intéressé à l'évolution du
thermalisme et plus précisément à l'économie du thermalisme. Quelques
décennies plus tôt, Guy de Maupassant dans son roman "Mont-Oriol" décrit
l'histoire de la création d'une station thermale.
En parallèle à une histoire d'amour romanesque, c'est toute la machinerie
thermale qui est décrite, du financement à la concrétisation d'une ville d'eau.
S'inspirant de l'histoire " réelle " de la ville de Châtel-Guyon, Maupassant
montre les rouages économiques du thermalisme.
L'intérêt des écrivains français pour l'évolution du thermalisme s'explique par
le constat selon lequel depuis le milieu du XIXe siècle, l'exploitation des
sources minérales connaît un véritable engouement, c'est une véritable " fièvre
thermale " qui s'empare de la France, et plus largement de l'Europe.
Les villes d'eaux fleurissent sur le territoire français, surtout localisées à
proximité et au cœur des massifs montagneux. Au début du XXe siècle, elles
sont plus d'une centaine de stations réputées, attirant plusieurs centaines de
milliers de baigneurs, de buveurs d'eau, de touristes. Il existe également
environ une centaine d'autres stations qui ne connaissent que de très loin les
fastes des villes d'eaux et qui se contentent de " survivre " souvent avec une
clientèle locale et très réduite.
Comme l'a constaté Jules Romains, créer une station thermale ce n'est pas
seulement exploiter l'eau minérale, c'est également mettre en place un
environnement propice composé à la fois de loisirs, de distractions, sans
omettre bien entendu l'aspect médical, raison d'être du thermalisme. Cette
bivalence entre loisirs et maladie se retrouve dans les infrastructures
thermales : établissements thermaux, parcs, casino-théâtre, hôtels.
Construire de pareilles villes, qui cherchent à être des villes idéales, nécessite
de très lourds investissements, surtout à la fin du XIXe siècle, alors que -
notamment après la guerre de 1870 - la concurrence est exacerbée entre les
villes d'eaux à l'échelle nationale, mais aussi européenne.
Un dilemme se pose alors aux gestionnaires, aux investisseurs du thermalisme :
être rentable, créer une affaire prospère sans spéculer sur l'état des malades
ni créer des lieux où les débordements des plaisirs soient indécents.
Rentabilité, médecine, loisirs, maladie sont autant d'éléments qu'il est difficile
de faire cohabiter durant le XIXe siècle. Il est intéressant de s'interroger
sur l'envers du décor thermal, des fastes de la vie thermale ou des échecs
thermaux, pour évoquer les investissements effectués dans les villes d'eaux.
Avant tout, il convient d'avoir à l'esprit la diversité du thermalisme :
diversité du fait de la période évoquée, l'ensemble du XIXe siècle, mais surtout
diversité en raison des différents types de gestion, des différentes tailles des
villes d'eaux, de leur localisation différente, de leur réussite variable. Cette
variété explique qu'il n'existe pas réellement de schéma préconçu menant au
succès thermal, ni de véritables réseaux d'investissements au sens actuel du
terme.
Quel que soit le statut du propriétaire ou du gestionnaire, ce sont bien souvent
des hommes qui ont été à l'origine du développement économique du thermalisme,
seuls ou en groupe, ce sont des individus qui sont pour une grande part les "
héros " heureux ou malheureux des aventures thermales. Même dans le cas de
propriété ou de gestion publique des sources, le facteur " humain " intervient,
peut-être moins que dans les entreprises privées, mais il ne doit pas être
négligé comme le prouvent les actions successives du préfet Raymond de
Carbonnières et du médecin inspecteur Bertrand dans la gestion de la station
thermale départementale du Mont-Dore.
A l'inverse, de nombreux échecs peuvent être imputables aux hommes qui n'ont
pas su ou qui n'ont pas voulu valoriser le potentiel thermal. Il serait injuste de
considérer que les " naufrages thermaux " soient seulement à mettre sur le
compte du facteur humain, d'autres éléments peuvent entrer en jeu ; il paraît
inconcevable que la gestion thermale ne se solde que par des réussites, la
France ne peut pas compter des dizaines de " Vichy " ou d'" Aix-les-Bains ", le
potentiel de la fréquentation ne le permet pas.
Les stations thermales qui attirent le plus de visiteurs sont généralement des
villes d'eaux " publiques ", pourtant leur nombre est faible par rapport à
l'ensemble des exploitations thermales : les " stations d'Etat " sont seulement
sept, un nombre constant pour le XIXe siècle, ce qui ne signifie pas qu'aucune
modification n'ait eu lieu. En 1831, l'Etat met aux enchères les sources de
Pougues-les-Eaux, tandis qu'en 1853, il acquiert celles de Luxeuil ; celles
appartenant aux départements et aux communes sont une cinquantaine, un
chiffre qui varie peu au cours du XIXe siècle, tandis que celles appartenant à
des particuliers ou à des sociétés capitalistes sont une centaine au début du
XIXe siècle et le double en 1900. Il semble que la " fièvre thermale " soit
surtout le fait des investisseurs privés.
Des rapprochements entre les types de propriété existent : Vichy, station dont
les principales sources sont comprises dans le domaine public, est gérée à
partir de 1853 par une puissante société capitaliste.
Les changements de propriétaires et de gestionnaires sont nombreux au XIXe
siècle, preuve à la fois du dynamisme du secteur thermal et de la difficulté de
pouvoir réellement rentabiliser et développer une activité fortement liée aux
aléas de la demande. Quel que soit le propriétaire des sources hydrominérales,
public ou privé, la gestion des sources ne doit pas être déficitaire. Même
l'Etat se doit de faire des bénéfices avec ses griffons. Dans les stations
thermales gérées par l'Etat, lorsque les pertes s'alourdissent les décisions de
cession se précisent, voire se concrétisent.
Le thermalisme n'apparaît donc pas comme un " élément clé " de l'économie
nationale suscitant un intérêt prioritaire pour le gouvernement et pouvant
engendrer indéfiniment des déficits.
L'Etat : entre régie et affermage L'Etat, législateur et aussi gestionnaire, est un acteur du thermalisme à double
visage. C'est le deuxième aspect qui nous intéresse davantage ici. Il gère en
effet plusieurs sources thermales en France directement sous forme de régie
ou indirectement par l'intermédiaire de fermiers : Vichy, Aix-les-Bains
(station gérée d'abord par l'Etat sarde avant 1860, puis par l'Etat français),
Plombières, Néris, Bourbon-l'Archambault, Bourbonne-les-Bains, Luxeuil à
partir de 1853, Pougues-les-Eaux jusqu'en 1831, Provins jusqu'en 1840.
L'Etat s'intéresse depuis longtemps à l'exploitation directe des stations
thermales. En 1808, Napoléon 1er, sur proposition du préfet des Pyrénées
Chazal, décide de créer une administration centrale des eaux thermales. Les
stations de Bagnères-de-Bigorre, de Cauterets, de Luz, de Barèges, de Capvern,
de Labassère, des Eaux-Bonnes, des Eaux-Chaudes, de Cambo, de Luchon ont été
regroupées et gérées par l'administration. L'application de cette décision ne
fut que très partielle et peu à peu les sources pyrénéennes ont eu des modes de
gestion différents, pour la plupart communaux.
Au XIXe siècle, l'Etat n'a ni les moyens financiers, ni la volonté de prendre en
main la gestion de toutes les sources thermales, il se concentre sur certaines
d'entre elles. L'Etat français possède les stations thermales les plus
importantes. Cette possession n'est pas entière, bien sûr, ce ne sont que les
sources qui sont sa propriété, mais à partir de ce précieux liquide, le
gouvernement français, qu'il soit monarchique, impérial ou républicain a su
créer les villes d'eaux les plus renommées du territoire français, parmi
lesquelles se trouve le fleuron du thermalisme français : Vichy.
L'Etat est devenu propriétaire de sources, plus par hasard que par une volonté
délibérée de prendre en main le potentiel thermal de la France. La Révolution et
l'Empire ont été à l'origine de la plus forte croissance du domaine hydrominéral
étatique : Plombières, Bourbonne-les-Bains, Néris, Bourbon-l'Archambault et
Vichy par confiscation pour ces trois dernières stations des possessions des
Bourbons qui étaient sous l'Ancien régime déjà comprises dans le domaine royal.
Toutes les sources possédées par l'Etat ne connaissent pas un destin aussi
glorieux que Vichy ou Aix-les-Bains (fig. n°2) ; par exemple les sources de
Médagues dans le Puy-de-Dôme, affermées pendant une grande partie du XIXe
siècle, ne sont fréquentées que par quelques dizaines de malades.
L'Etat gère aussi des hôpitaux civils ou militaires dans les stations thermales.
Les hôpitaux militaires participent directement à l'organisation thermale,
surtout dans des stations comme Barèges ou Bourbonne-les-Bains.
Pour gérer son domaine thermal, l'Etat a souvent hésité entre affermage et
mise en régie, entre gestion directe et appel au capitalisme. La différence
entre affermage et régie est due généralement à la volonté ou non de l'Etat
d'essayer de développer l'exploitation. Souvent, faute de volonté d'investir
directement, l'Etat fait appel à des investisseurs privés pour créer les
infrastructures thermales nécessaires au lancement d'une station. Toutefois,
ce cas de figure n'existe que dans le second XIXe siècle comme le prouve
l'exemple de Plombières. Dans la première moitié du XIXe siècle à Plombières,
c'est l'affermage qui est choisi, en faveur de modestes propriétaires habitant
Plombières. Aucun investissement particulier ne leur est demandé, si ce n'est le
simple entretien des bâtiments. L'affermage des salons de détente est
également attribué à des Plombinois.
En 1857, l'affermage est attribué à une compagnie plus puissante : la compagnie
pour l'exploitation des sources et des établissements thermaux de Plombières,
compagnie créée par la volonté de Napoléon III et qui doit impérativement
comporter des actionnaires originaires de la région vosgienne.
Parmi les actionnaires se trouvent des hommes politiques locaux comme Félix
Robillot, membre du conseil général des Vosges, maire de la ville de Remiremont,
Joseph Parisot, maire de Plombières, et également des industriels comme
Charles Demande, maître de forges en Haute-Saône et membre du conseil
général de Haute Saône, et Victor de Pruines également maître de forges et
conseiller général des Vosges. A cette liste s'ajoutent quelques membres de
professions libérales, médecins, notaires, pharmaciens... Les actions, d'une
valeur de 500 francs, sont prévues pour produire 5% d'intérêt par an, taux
garanti par l'Etat. Napoléon III fait un don de 55 000 Francs à la nouvelle
société. La concession du domaine thermal est de 80 ans, une durée
inhabituellement longue, ce qui montre la volonté de l'Etat d'aider la nouvelle
entreprise. En échange la nouvelle société doit construire un ensemble complet
d'infrastructures thermales : des thermes, un casino, des hôtels, un parc..., le
tout dans un délai de 3 ans. L'Etat ne reçoit aucune ferme, excepté les impôts,
tels que contributions foncières pendant dix ans, au-delà, il percevra un
pourcentage des bénéfices. Afin d'aider la nouvelle société, l'Etat prend à sa
charge les travaux de captage des eaux minérales et l'assainissement de la
ville à hauteur de 345 000 francs et se porte garant des emprunts successifs
réalisés par la société.
Ce puissant parrainage et ces aides ne parviennent pas à rendre la société
rentable, en grande partie en raison des investissements exorbitants en
infrastructure, les actionnaires ne recevront jamais plus de 2 % d'intérêts et
souvent le chiffre est plus proche de zéro.
Cette situation est différente à Vichy, la " reine des villes d'eaux ". L'Etat,
après avoir hésité pendant la première moitié du XIXe siècle entre affermage
et régie, décide en 1853 d'opter pour l'affermage. Comme à Plombières, la
décision est prise en raison d'importants investissements indispensables en
infrastructure sous peine de voir la clientèle bouder la station. L'affermage a
lieu en faveur d'une société créée principalement par Auguste Lebobe,
entrepreneur de travaux publics parisien, député de l'arrondissement de Meaux
et administrateur des chemins de fer du Nord et Georges Callou, entrepreneur
de travaux publics (fig. n°3).
A ces deux principaux actionnaires, qui détiennent 390 des 400 actions de la
société, se sont joints le docteur Arnal, médecin de Napoléon III et Jean-
Frédéric Possoz, maire de Passy. Le capital social est important, 2 millions de
francs. Les charges imposées aux fermiers sont lourdes : verser 100 000
francs par an de ferme, verser à l'hôpital de Vichy 5 centimes par litre d'eau
expédié, effectuer des travaux pour 1 million de francs, acquérir trois sources
concurrentes, accepter la présence et le contrôle d'un commissaire du
gouvernement. En dépit de charges élevées, qui s'expliquent par la situation
déjà bien établie de la station vichyssoise, la société prospère.
Plusieurs modifications et augmentations de capital sont effectuées sous le
Second Empire, notamment lors du décès d'Auguste Lebobe et du départ
d'Arthur Callou. En 1863, une liste des actionnaires de la Compagnie fermière
des eaux thermales montre une domination forte des Parisiens : sur 76
actionnaires 63 habitent Paris, " seulement " trois résident à Vichy (un
pharmacien possesseur de 50 actions, un banquier détenteur de 20 actions et un
" propriétaire " avec 20 actions). De nombreux actionnaires sont notés comme
étant des " propriétaires " ou des " négociants " : 35 sur les 76 actionnaires.
Les médecins sont peu nombreux : 5. Les autres participants à l'aventure
vichyssoise sont essentiellement des membres des professions libérales,
architectes, avocats. La Compagnie fermière possède une assise sociale assez
large, recrutant dans un " vivier " parisien d'hommes d'affaires à la recherche
de fructification d'un capital. Cette situation est donc différente de celle de
Plombières où les acteurs locaux ont pris la direction et composent l'essentiel
de la société fermière.
A Aix-les-Bains, l'Etat français décide pendant une grande partie du XIXe
siècle d'adopter la mise en régie, à part un léger intermède lors de la tentative
de Cavour d'affermer le domaine thermal appartenant à l'époque au royaume de
Piémont-Sardaigne.
L'Etat sarde aidé par les communes savoyardes finance les différents projets
d'infrastructures comme par exemple en 1856 la construction pour 900 000
francs de thermes (fig. n°4). En 1860, lors du rattachement à la France, l'Etat
français fournit 700 000 francs pour l'achèvement des thermes en échange du
retrait de la ville d'Aix qui partageait avec l'Etat sarde la direction du
domaine thermal. Les bénéfices réalisés par l'Etat sont importants à Aix, ce
qui justifie son maintien comme gestionnaire et propriétaire. Pourtant la loi de
finances de 1884 impose à l'Etat de mettre en ferme les thermes d'Aix-les-
Bains, considérant que le gouvernement n'avait pas à gérer de tels
établissements, d'autant qu'à la même époque les recettes tendent à diminuer.
Mais cette tentative échoue et la régie demeure.
A Vichy, comme à Plombières, voire dans une certaine mesure à Aix-les-Bains,
rares sont les entrepreneurs, les financiers, les industriels qui prennent à
ferme les établissements thermaux. A chaque affermage les demandes sont très
restreintes.
A Plombières, l'impulsion donnée par l'empereur est nécessaire ; à Vichy, il
n'existe en réalité en 1853 qu'une seule proposition sérieuse qui est soumise à
l'approbation de l'administration ; à Aix-les-Bains lorsque des tentatives
d'affermage sont réalisées, il ne semble pas que des fermiers aient répondu.
L'importance du rôle de Napoléon III est considérable, dans les trois exemples
cités, les changements radicaux dans la gestion étant intervenus entre 1853 et
1870.
L'Etat est en mesure, selon le bon vouloir du gouvernement d'apporter des
sommes importantes dans la gestion thermale : ce fut le cas à Vichy, à Aix-les
-Bains et à Plombières. Néanmoins, il ne peut pas gérer l'ensemble du
patrimoine thermal français, il n'a ni les moyens financiers, ni même la volonté
d'entreprendre des investissements aussi considérables. La possession par
l'Etat donne une image de sérieux à l'exploitation thermale, tout comme le fait
qu'une eau soit autorisée par l'Etat cautionne son utilisation.
A l'inverse, le gage de sérieux peut être à l'origine d'un sentiment d'ennui, de
lieu uniquement consacré à la maladie, où les distractions sont absentes. Ce
constat est contre-balancé par l'exemple vichyssois.
Des inconvénients existent comme celui d'un cahier des charges très
contraignant. La " garantie " de l'Etat n'induit pas une réussite " automatique
", même si elle peut s'avérer un facteur non négligeable de succès.
A partir de la décennie 1850, on remarque un changement de l'importance des
fermiers : à de simples particuliers, issus des environs, voire de la localité
thermale, se substituent de puissantes compagnies regroupant des actionnaires
d'origines géographiques et sociales beaucoup plus larges que les seuls "
artisans " locaux. De plus, la durée de la ferme a évolué : de trois ans, elle
passe souvent à plusieurs décennies ; cette augmentation apparaît comme une
nécessité pour espérer obtenir des sociétés concessionnaires des engagements
de construction d'infrastructures thermales et pour permettre une certaine
continuité dans le mode de gestion en favorisant la mise en place de politiques
d'investissement cohérentes.
Le choix de la régie favorise une gestion moins axée sur la rentabilité tout en
accordant une place plus importante à la médecine surtout lorsqu'elle s'adresse
aux catégories sociales les plus défavorisées. Dans la gestion des sources
thermales par l'Etat se trouve une contradiction essentielle de l'histoire du
thermalisme : le souci de faire bénéficier le plus grand nombre des bienfaits
des eaux minérales, de diffuser le plus largement possible les pratiques
thermales, tout en prenant en compte les soucis de rentabilité. La santé ou
l'économie, la santé et l'économie, il s'agit là d'une équation difficile à
résoudre, surtout lorsque le propriétaire des sources est l'Etat.
Après l'évocation des investissements étatiques et de la gestion par l'Etat
d'une partie du thermalisme, il faut prendre en considération les sources
appartenant aux communes et aux départements.
Municipalité et département : gérer la difficulté financière Les stations thermales qui possèdent des sources appartenant aux communes
sont relativement nombreuses, environ une cinquantaine dont " seulement " une
dizaine de renommée nationale (Luchon, Barèges, Cauterets, Royat, Eaux-Bonnes,
Bagnères-de-Bigorre, Saint-Sauveur, Evian, Thonon). Rares sont les sources
propriétés des départements : six ou sept pendant tout le XIXe siècle, dont la
plus notable est le Mont-Dore dans le Puy-de-Dôme (fig. n°5), et quatre en
Corse.
Dans ces stations, toutes les sources n'appartiennent pas obligatoirement à la
municipalité : à Evian, par exemple, à la fin du XIXe siècle, deux des neuf
sources jaillissant sur le territoire de la commune sont propriétés municipales,
les autres sont gérées par des investisseurs privés.
De nombreuses communes sont devenues propriétaires des sources thermales à
la suite des saisies révolutionnaires. De nombreux points communs existent
entre la gestion du thermalisme par l'Etat et par les communes ou les
départements. Parmi les ressemblances, on peut relever le mode de gestion qui
évolue entre l'affermage et la régie.
L'appel à des particuliers ou à des sociétés capitalistes paraît être la solution
la plus prometteuse. Le manque d'argent est une constante dans l'histoire du
thermalisme des collectivités territoriales. Certaines communes parviennent
cependant à effectuer des constructions coûteuses grâce à des emprunts et à
des sacrifices importants.
A Luchon, la municipalité dépense 800 000 francs pour élever un magnifique
monument thermal au milieu du XIXe siècle. Une somme considérable qui permet
à la station thermale de réellement lancer le thermalisme local.
Les communes connaissent généralement d'importantes difficultés financières
dans la gestion des sources et des établissements thermaux, difficultés qui
deviennent insurmontables lorsque des constructions ou des améliorations
importantes aux infrastructures existantes sont nécessaires.
A la différence de l'Etat certaines communes ou départements ont dû
abandonner la propriété des sources pour tenter de conserver une exploitation
thermale sur leur territoire.
Ainsi en 1861, le département de la Lozère vend les sources de La Chaldette à
un rentier de Montpellier pour 19 000 francs. Bien souvent, lorsque les
communes décident de conserver leur domaine thermal, la gestion est chaotique,
ballottée entre différents gestionnaires privés dont la plupart ne parviennent
pas à assurer financièrement la croissance thermale, ni même parfois à
simplement maintenir le statu quo. Comme pour les sources appartenant à
l'Etat, on note une évolution au cours du XIXe siècle, avec un affermage en
faveur des habitants des environs des griffons dans un premier temps, puis au
milieu du XIXe siècle, à des investisseurs souvent plus lointains.
Un nouveau palier est atteint au cours de la décennie 1870, avec la création de
sociétés capitalistes regroupant des financiers provenant d'horizons
géographiques et professionnels plus larges et qui cherchent dans le
thermalisme l'occasion d'effectuer des profits importants. Evidemment, ce
schéma d'évolution ne correspond réellement qu'à des stations thermales assez
fortunées pour attirer des investisseurs prêts à apporter d'importantes
sommes d'argent dans la gestion des ressources thermales municipales.
Certaines sources communales se " contentent " d'être gérées par des modestes
fermiers incapables financièrement de construire des infrastructures
d'exploitation similaires à celles présentes dans les villes d'eaux les plus
réputées. C'est en effet une des particularités de l'économie thermale. Elle
repose sur une matière première disponible à faible coût, mais doit prendre en
compte son image et son environnement pour espérer prospérer, face à une
demande volatile qui accorde beaucoup d'attention aux apparences.
Certaines municipalités ne considèrent pas réellement le thermalisme comme
une priorité. Dans les esprits des édiles municipaux, il s'agit parfois davantage
d'une contrainte que d'une chance. A Aix-en-Provence par exemple, la commune
ne pratique pas une gestion dynamique de son potentiel thermal, elle se
contente de quelques améliorations lorsque l'exploitation dégage quelques
excédents. Cet intérêt limité se manifeste lors de l'affermage de 1859 : la
commune ne pose aucune condition financière lors de la concession.
Certaines communes qui choisissent l'affermage font un choix judicieux, c'est
le cas par exemple pour la station thermale de La Bourboule, lors de
l'affermage des sources communales sous le Second Empire à une compagnie qui,
en échange participe au développement de la station (participation à la création
du chemin de fer, à la construction d'une église, d'un bureau de poste,
réalisation de routes...) (fig. n°6).
En parallèle au schéma général et pour corroborer l'idée de diversité dans le
thermalisme, il existe dès le début du XIXe siècle des exemples de création de
sociétés capitalistes qui décident d'investir dans le thermalisme. En 1819, une
société capitaliste par actions se met en place pour gérer les sources
communales de Brides en Savoie. Son capital social est de 30 000 francs. Elle a
été créée sous l'impulsion d'un médecin, le docteur Hybord ; elle reçoit le
soutien du roi de Piémont-Sardaigne, Victor-Emmanuel, qui prend quatre actions
de la société ; la province de la Tarentaise quant à elle investit dans quatorze
actions de 500 francs. Les autres actionnaires sont des propriétaires de la
province de la Tarentaise. La gestion est bien du ressort d'investisseurs
privés mais l'administration n'est pas absente ; lors des conseils
d'administration, les représentants de la province sont présents et
interviennent fréquemment. Les sacrifices financiers pour la construction d'un
nouvel établissement thermal, en dépit de plusieurs augmentations de capital,
qui ont d'ailleurs du mal à se réaliser, sont trop importants et la société en
moins de deux décennies, en 1833, doit s'avouer vaincue et cède la gestion du
patrimoine des établissements thermaux à la province de la Tarentaise.
Le thermalisme ne semble pas encore assez mûr pour accueillir réellement le
capitalisme dans sa forme la plus aboutie de société par actions. L'incapacité
de pouvoir édifier un établissement thermal digne de ce nom faute de capitaux
explique en partie cet échec. Après une histoire chaotique de tentatives de
gestion départementale ou communale, les sources sont vendues sous la
Troisième République à un particulier.
La plus belle des réussites concerne une station appartenant à un département
: le Mont-Dore. Le département du Puy-de-Dôme, grâce au préfet Ramond de
Carbonnières, parvient dans les premières années du XIXe siècle à expulser le
propriétaire en arguant de son manque d'intérêt pour les sources. La prise de
possession de sources au nom de l'utilité publique est un fait rare dans
l'histoire thermale, elle a été favorisée entre autres par l'image " naturelle "
du thermalisme : les eaux minérales sont un don de la nature, il paraît très
difficile de leur associer des notions de rentabilité, de spéculation. De plus le
propriétaire, Etienne Lizet, avait la réputation d'être un usurier, un
personnage peu recommandable qui ne cherche dans l'exploitation thermale
qu'un moyen de gagner de l'argent, sans souci humanitaire.
Le département opte d'abord pour le système de l'affermage, accordé à de
modestes habitants de la bourgade du Mont-Dore, mais les investissements les
plus importants sont réalisés par l'Etat et par le département. Ainsi entre
1810 et 1832, l'Etat investit-il 400 000 francs et le département 600 000
francs pour l'amélioration du domaine thermal.
A partir de 1855, l'affermage reste la solution adoptée, mais les fermiers
choisis par le département ont une plus importante envergure financière et plus
d'ambition. Désormais il est mentionné que les fermiers doivent participer à la
construction des nouveaux bâtiments, le bail de 1887 prévoit même que la
dépense doit être de 1,8 million entre 1888 et 1892 pour construire de nouveaux
thermes.
Le fermier d'alors est un dénommé Chabaud, habitant du Mont-Dore, dont on
sait seulement qu'il était connu comme propriétaire. Chabaud diversifie son
activité en achetant des hôtels. La concession des thermes s'accompagne de
celle des salons et du casino. Chabaud transforme plus tard sa société en
société anonyme par actions, dont les actionnaires sont issus du département
du Puy-de-Dôme. Le Mont-Dore est une réussite pour le département du Puy-de
-Dôme en terme d'image et sur le plan financier (fig. n°7).
Avant de terminer ce tour d'horizon de la situation des thermes publics,
évoquons le cas atypique de plusieurs stations pyrénéennes. En effet, plusieurs
sources hydrominérales sont gérées non par une seule commune mais par un
syndicat de communes, regroupant plusieurs municipalités situées dans une
même " vallée ". Il y a donc création d'une structure intermédiaire entre la
commune et le département.
Le cas le plus abouti est celui de Cauterets : jusqu'en 1840, les possessions
indivises des communes de la vallée de Saint-Savin sont en réalité gérées par
l'administration préfectorale, au bénéfice des communes. La création du
syndicat, en relation avec la loi sur l'administration communale de juillet 1837,
permet le transfert de l'administration des thermes directement à la
commission syndicale. Pendant la première moitié du XIXe siècle, les sources
communales de Cauterets sont affermées à de " petits fermiers " locaux.
Certains de ces adjudicataires cumulent les fermes : en 1815, un dénommé
Larrieu obtient la gestion des thermes de Cauterets et de Barèges. Les
fermiers sont avant tout de petits propriétaires de Cauterets ou de ses
environs, qui luttent pour obtenir ces fermes, qui ne génèrent pas
obligatoirement des revenus, mais confèrent un certain prestige. Les
différentes infrastructures nécessaires sont financées par le syndicat de
communes. Le changement a lieu sous le Second Empire : en 1864-1865 est
fondée " la Société anonyme des eaux de Cauterets " qui obtient la concession
de l'ensemble des sources minérales et des thermes de Cauterets. Le dirigeant
de cette société est Benjamin Dulau, entrepreneur de travaux publics domicilié
dans les Landes mais travaillant à Paris. Ce sont surtout des Bordelais qui
composent la société, majoritairement des entrepreneurs et des négociants ;
une fois encore il s'agit davantage de réseaux relationnels d'amis que
d'actionnaires d'horizons divers qui se regroupent uniquement pour gérer une
entreprise. La société Dulau entreprend une politique d'expansion : création de
chalets, d'hôtels, d'un casino.
Les rapports sont souvent houleux entre le concessionnaire et le syndicat de
vallée qui ne voit pas d'un très bon œil l'importance grandissante de ces "
étrangers ". Lors du renouvellement de la concession, une nouvelle société prend
la suite de celle de Dulau. Elle est également composée majoritairement
d'entrepreneurs, de propriétaires, qui sont surtout originaires des Basses et
des Hautes Pyrénées. Cette société est rapidement au bord de la faillite,
provoquée en particulier par la société Dulau qui, bien que n'étant plus
concessionnaire du syndicat de vallée avait établi un domaine thermal
concurrent.
Il faut attendre 1912 pour qu'une nouvelle concession réussisse ; il s'agit
cette fois de la Société thermale des Pyrénées, créée sous la direction de
Jacques Vernes, administrateur d'une importante banque parisienne et associé
à la Compagnie du Midi. Cette puissante compagnie parvient à relancer la
station de Cauterets.
L'exemple de la gestion publique du thermalisme par l'Etat ou les communautés
territoriales montre qu'il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour que se
mettent en place des sociétés capitalistes qui prennent en charge l'ensemble de
l'exploitation thermale dans des stations où les sources sont publiques.
Pendant le premier XIXe siècle, l'administration publique s'occupe de la
construction, de l'amélioration, de la restauration des infrastructures
thermales, les investisseurs privés se contentent d'affermer les domaines
publics sans réellement modifier les infrastructures.
Les premiers fermiers des domaines thermaux publics sont essentiellement des
habitants de la région. La population locale s'intéresse donc de près à la
gestion des ressources hydrominérales de sa commune.
Dans la seconde partie du siècle, les investisseurs privés se manifestent et
mettent en valeur de nombreuses stations " publiques ".
Le Second Empire a souvent constitué un tournant, au moment même où l'avenir
du thermalisme et sa rentabilité semblent assurés, où le chef de l'Etat a un
intérêt personnel pour les eaux et surtout, où le capitalisme s'impose et
permet de réunir des capitaux suffisants pour subvenir aux énormes besoins
nécessités par le thermalisme.
Il faut pourtant demeurer prudent, s'il semble que les stations thermales
soient des lieux propices à l'intervention capitaliste, toutes n'ont pas attiré
de l'argent en quantité suffisante. De plus, certaines sources thermales gérées
directement par l'Etat prospèrent, même si ce dernier cas demeure
exceptionnel.
Capitalisme, médecine : la croissance du secteur privé dans le thermalisme La gestion privée est omniprésente dans le thermalisme, d'une part parce que la
plupart des sources appartiennent à des particuliers, à des sociétés privées, et
d'autre part parce qu'à de multiples reprises et près de nombreux griffons,
l'Etat, les départements, les communes font appel à des investisseurs privés.
A plusieurs reprises à partir du milieu du XIXe siècle, il apparaît que les
sociétés capitalistes sont l'expression de l'intérêt général pour le
thermalisme et n'apparaissent plus uniquement comme des entreprises ayant
pour seul but de faire des bénéfices ; elles deviennent les garantes de la
prospérité locale. Le changement est important par rapport à la situation
antérieure, lorsque les entreprises capitalistes apparaissaient comme les "
diables " venus dépouiller les habitants de leurs biens.
Tout au long du XIXe siècle, on relève des initiatives d'individus " solitaires ",
qui croient dans le pouvoir des eaux et pensent qu'ils peuvent devenir des "
alchimistes du thermalisme " ; ils se lancent alors dans l'exploitation thermale
: le succès peut être au bout de la ligne droite, mais l'échec n'est pas exclu.
Les réussites peuvent être éclatantes, des fortunes sont nées grâce à l'eau
minérale : Louis Bouloumié à Vittel, le docteur Vidart à Divonne. Celle
d'Auguste Badoit, à Saint-Galmier est exemplaire : ancien " voyageur de
commerce en soierie ", il crée à Saint-Galmier une entreprise prospère basée
essentiellement sur l'expédition d'eau minérale. Sa réussite est en partie due
aux qualités des eaux de Saint-Galmier qui supportent très bien le transport
en bouteilles, mais surtout à la clairvoyance de Badoit qui comprend rapidement
que le thermalisme près des sources n'est pas la meilleure solution pour faire
fortune à Saint-Galmier et qu'une publicité importante peut seule permettre
une croissance des ventes.
Mais c'est aussi l'exemple d'un avocat de Rodez, Louis Bouloumié, contraint à
l'exil politique et qui en 1852 décide après une cure thermale dans la station
voisine de Contrexéville de lancer la station thermale de Vittel (fig. n°8). Louis
Bouloumié, tout comme Auguste Badoit, débute son exploitation grâce à des
fonds personnels, la croissance est lente mais sûre. Dans les deux cas l'auto-
financement est la règle, l'appel à des emprunts est effectué en dernier
recours. La volonté de conserver la mainmise sur l'ensemble de la gestion
explique l'absence d'autres investisseurs.
Ce n'est que durant la décennie 1880 que les Bouloumié doivent se résoudre à
créer une société d'actionnaires, la " société de Vittel ", au capital de 1,7
millions de francs. La famille Bouloumié conserve la tête de l'entreprise, les
autres actionnaires sont surtout M. Koechlin-Schwartz, manufacturier, maire
du 8e arrondissement de Paris, un banquier des Vosges, Jules Evrard, un maître
de forges, Henri de Tricornot, en fait un mélange d'investisseurs locaux et
parisiens, faisant tous partie des relations personnelles de la famille
Bouloumié.
La domination de la famille Bouloumié perdure bien au-delà de la Première
Guerre mondiale, sans aucune remise en cause. Les exemples évoqués sont des
destins toutefois exceptionnels dans le thermalisme. Pendant la première partie
du XIXe siècle, la majorité des propriétaires de sources se contente de gérer
sans grande ambition les griffons, réduisant au minimum les investissements.
Pourtant dès le début du XIXe siècle, les tentatives de particuliers pour
lancer des stations thermales sont nombreuses. Ce sont souvent des médecins,
des avocats qui tentent leur chance, mais aussi de petits propriétaires, des
artisans qui essaient de développer l'exploitation de sources hydrominérales,
ce que l'on peut appeler un " artisanat thermal ", qui tend à disparaître peu à
peu au cours du XIXe siècle, tandis que les médecins, les hommes de loi, les
architectes continuent à jouer un rôle prépondérant soit en tant que
propriétaires et initiateurs uniques de la gestion thermale, soit en participant
aux nombreuses sociétés thermales qui se créent (fig. n°9).
La " fièvre thermale " est une expression littéraire qui correspond à
l'augmentation du nombre de personnes se rendant chaque année près des
sources et caractérise également l'augmentation du nombre de sources en
exploitation. Elle permet également d'identifier l'importance de la " ruée
économique et financière " vers le thermalisme, l'espoir d'enrichissement, la
recherche du profit qui expliquent le nombre considérable de créations
d'exploitations thermales et le nombre important de forages pour découvrir des
sources. A Vals par exemple en 1870, 80 sources sont exploitées par plus de
trente propriétaires.
La croissance du nombre de sources exploitées en France va de pair avec une
augmentation du nombre de propriétaires, ce qui indique que la volonté de
gagner de l'argent, la recherche de nouvelles émergences de l'eau minérale
correspond bien à un projet " industriel " et mercantile, loin des découvertes
fortuites du début du XIXe siècle.
Loin des fastes des grandes stations nécessitant d'importants
investissements, des exploitations thermales " artisanales " souvent familiales
parviennent à se maintenir pendant une grande partie du XIXe siècle, citons le
cas des établissements thermaux de Pont-les-Bains, trois thermes appartenant
à trois familles, qui gèrent leur bien jusqu'au début du XXe siècle sans
expansion, mais aussi sans faillite.
La fièvre thermale du second XIXe siècle ne concerne pas uniquement les
tentatives isolées, elle explique aussi le nombre important de sociétés "
capitalistes " créées pour exploiter les loisirs ou les eaux minérales dans les
villes d'eaux. En plus des cas précédemment évoqués dans les villes d'eaux où
les sources sont publiques, citons l'exemple de Bagnoles-de-l'Orne. En 1865 un
notaire d'Alençon, Richard, crée la Société des eaux minéro-thermales de
Bagnoles. La réussite n'est pas au rendez-vous ; une nouvelle société est
constituée en 1880, puis encore une autre en 1896 à l'instigation d'un
industriel, Georges Hartog. Cette succession rapide de sociétés n'est pas une
exception. A Enghien, les sociétés capitalistes se suivent sans parvenir au
succès : en 1863 est fondée sous l'égide d'Albert de Montry la Société des
eaux minérales d'Enghien, entreprise de courte durée. En 1868 elle vend ses
possessions à une Société des thermes, qui elle-même cède ses propriétés en
1875 à la Compagnie anonyme des eaux d'Enghien-les-Bains, créée par de
Villemessant, fondateur du journal Le Figaro. La société végète, et en 1895 une
nouvelle entreprise est fondée qui doit à son tour vendre son domaine thermal
en 1902 au banquier parisien Bressous.
La fièvre thermale n'a pas seulement concerné de petits villages, de modestes
bourgs, la capitale a été aussi le théâtre de création de sociétés capitalistes.
En 1874 est créée la Société anonyme des eaux minérales sulfureuses de
Belleville-Paris, au capital de 1,6 million de francs. Les fondateurs sont quatre
négociants parisiens appartenant vraisemblablement à deux familles, les
Lapostolet et les Certeux, mais cette entreprise est sans avenir. La litanie des
échecs et des successions de sociétés capitalistes pourrait encore être longue,
preuve à la fois de l'intérêt pour la gestion thermale et de la difficulté
d'administrer une exploitation d'eaux minérales.
Au début du XXe siècle se créent de puissantes compagnies qui exploitent des
sources dans plusieurs stations, avec souvent comme priorité l'embouteillage de
l'eau minérale. Citons à titre d'exemple la Compagnie générale d'eaux minérales
et des bains de mer, société anonyme au capital de 4,8 millions de francs qui
possède des sources à Alet, Allevard, Andabre, Châteldon, Contrexéville, (fig.
n°10) Desaignes, Euzet, Fumades, Salins-du-Jura, Saint-Gervais, Spa, Vals et
Vichy. A cette longue liste s'ajoutent des hôtels à Vichy, un casino à Trouville
et à Vichy. Cette société est une émanation de la Compagnie fermière de
l'établissement thermal de Vichy, et pendant de longues années elle est dirigée
par les mêmes personnes.
Les différentes sociétés qui se créent peuvent se regrouper en plusieurs
catégories en fonction de l'origine de leur investissement. Il y a d'abord celles
composées d'acteurs issus des environs des sources, qui cherchent à exploiter
au maximum le patrimoine local. Ce type d'entreprises est en règle générale le
plus ancien. L'exemple de Brides-les-Bains, dans le premier quart du XIXe
siècle, représente bien ce mode d'investissement industriel.
Peu à peu se mélangent les capitaux locaux et les investissements provenant
des grandes métropoles, qui trouvent dans les stations thermales des terrains
propices à l'extension de leur activité. Dans ces sociétés, les banquiers jouent
un rôle de premier plan.
A ces banquiers se joignent des industriels tels que des entrepreneurs de
travaux publics, souvent en contrat avec l'Etat pour des marchés publics, mais
aussi des médecins, qui faute d'apports importants en capitaux apportent leurs
savoir-faire, leurs compétences, leur présence, qui est un gage de sérieux pour
l'image de l'entreprise.
L'association entre la banque et les entrepreneurs de travaux publics se
rencontre notamment à Vichy au sein de la Compagnie fermière.
A sa fondation les deux principaux acteurs de cette société sont deux
industriels qui ont fait fortune, Antoine Callou et Auguste Lebobe. A ces deux
acteurs principaux s'est joint Denière, régent de la Banque industrielle et de
la Banque de France de 1866 à 1888 et qui joue un rôle actif dans l'évolution de
la Compagnie. Il s'occupe d'acquérir les sources concurrentes, participe à la
création d'une société " parallèle " à la Compagnie fermière, chargée de gérer
des activités thermales qui ne peuvent pas être comprises dans la Compagnie
fermière, notamment les jeux d'argent, avant que l'autorisation ne soit donnée
par l'Etat de pouvoir pratiquer les jeux de hasard dans son casino.
Il n'est pas exceptionnel que des membres de la haute banque parisienne
participent à des opérations financières dans le thermalisme. Cette
participation devient plus importante à la fin du XIXe siècle et au début du
XXe siècle. Isaac Péreire investit d'importants capitaux pour acquérir des
sources minérales dans la station thermale d'Amélie-les-Bains en 1863.
Malheureusement pour la ville d'eaux pyrénéenne, les déboires financiers de la
famille Péreire à partir de 1867 réduisent les investissements effectués dans
le thermalisme. Néanmoins lors des premières années de sa gestion, Isaac
Péreire a modernisé profondément l'établissement thermal, des promenades ont
été aménagées, des chalets ont été construits. L'achat des thermes d'Amélie
participe à la politique industrielle d'Isaac Péreire dans le Sud-Ouest,
politique qui trouve son point d'orgue dans la direction de la Compagnie des
chemins de fer du Midi. Après la mort du banquier en 1880, les thermes passent
sous le contrôle d'une société créée par ses héritiers, la Société Péreire, qui
poursuit la gestion du domaine thermal sans pourtant amener une croissance de
la fréquentation.
Notons aussi le rôle de Jacques Vernes qui crée à partir de Cauterets la
puissante Société thermale des Pyrénées et qui participe aussi à la Compagnie
du Midi, dans une alliance qui a pour but de rentabiliser les chemins de fer et
de faciliter l'accès aux stations thermales pyrénéennes souvent enclavées.
Dans un article consacré aux liens entre le thermalisme pyrénéen et la
Compagnie du Chemin de fer du midi, Christophe Bouneau met en lumière
l'importance des villes d'eaux pyrénéennes dans la constitution d'un réseau
ferré montagnard, situation qui est proche de ce qui a lieu dans les autres
massifs montagnards français (fig. n°11)3. Il existe une synergie forte entre
le développement du chemin de fer dans les Pyrénées et la croissance du
thermalisme.
Sur de nombreuses portions du réseau ferré, ce sont les stations thermales qui
justifient la présence de la plupart des voyageurs ; réciproquement, les villes
d'eaux bénéficient de moyens de communication pour drainer la clientèle. La
Compagnie du chemin de fer du Midi adapte son offre à la demande thermale en
proposant des réductions spéciales pour les séjours thermaux et en
construisant des tronçons de voies ferrées qui servent presque uniquement aux
curistes. En 1913, les administrateurs de la Compagnie du Midi peuvent déclarer
avec satisfaction : " la fréquentation croissante de nos stations thermales et
balnéaires atteste le succès de nos efforts multiples pour adapter toujours
mieux nos services aux besoins du public ".
Le chemin de fer est considéré comme l'élément clé de la Révolution
industrielle en France, un facteur de développement du thermalisme : si le train
ne génère pas obligatoirement une extension du bassin de recrutement de la
demande, il est toutefois à l'origine d'une intensification des flux lointains,
grâce au raccourcissement des temps de trajet. A Contrexéville, c'est Achille
Fould qui a pris part à la constitution d'une société qui en 1864 se porte
acquéreur de la source des Pavillons : la Société des eaux de Contrexéville. La
famille Fould participe à la gestion de la station vosgienne jusqu'à la Première
Guerre mondiale. Cette entreprise est une réussite et contribue au
développement de la station par la construction d'un " nouveau Contrexéville ".
A Evian, après une tentative peu fructueuse initiée à partir de 1826 par le
genevois Fauconnet, qui parvient à construire un hôtel mais qui n'a pas
suffisamment de moyens financiers pour améliorer les thermes, une société de
sept actionnaires qui prend le nom de Société anonyme des eaux minérales
d'Evian est créée en dépit de ce nom " pompeux ", elle ne possède qu'une source
à Evian. Cette société se modifie à plusieurs reprises : à la fin du Second
Empire, son emprise est presque totale sur la station, elle a acheté la plupart
des sources concurrentes, et a construit un hôtel monumental.
Le principal instigateur de la croissance d'Evian et de l'entreprise est Alfred
André qui fait appel au soutien de la haute banque protestante pour investir à
Evian et dans la Société des eaux. Lorsqu'il meurt en 1896, c'est son neveu le
baron de Neuflize qui prend la direction de l'entreprise.
Les statuts des sociétés qui sont créées tout au long du XIXe siècle pour
gérer le thermalisme sont souvent réalisés selon le même modèle, seul change le
montant du capital social. Celui-ci peut être relativement limité, par exemple
120 000 francs en 1902 pour la Société d'exploitation des eaux et des thermes
de Néris jusqu'à atteindre plusieurs millions, dix millions pour la Compagnie
nouvelle des Thermes de Cauterets et de la vallée de Saint-Savin en 1895.
Dans les créations de sociétés on retrouve souvent une alliance, presque
naturelle dans l'investissement thermal, celle de la banque et de la médecine.
Pour illustrer cette association, on peut évoquer la station thermale de Châtel
-Guyon dans le Puy-de-Dôme, exemple rare de conglomérat (fig. n°12). Dans
cette station qui végète jusque dans le dernier quart du XIXe siècle, un
médecin thermal, le docteur Baraduc, parvient à intéresser aux sources châtel
-guyonnaises un banquier parisien, François Brocard. Ces deux hommes dirigent
totalement l'évolution de la Société des eaux minérales de Châtel-Guyon, qu'ils
fondent en 1878 avec des associés dont la plupart ont été contactés par le
banquier parisien. Cette association médecine et banque se poursuit après la
mort des deux fondateurs, puisque leurs successeurs sont issus de ces deux
professions, que ce soient les docteurs Angelby et Pessez ou le banquier Emile
Dussargues de Colombier. Le banquier Brocard fondateur de la société de
Châtel-Guyon dirige également la Compagnie des eaux minérales de La Bourboule
et celle de Royat, trois stations qui sont les principales villes d'eaux du Puy-
de-Dôme et parmi les premières de France.
Les sociétés dominées par le banquier Brocard possèdent d'autres
investisseurs communs : tous les membres du conseil d'administration de la
Compagnie générale des eaux minérales de Royat fondée en 1876 sont liés à
François Brocard : le comte de Pontgibaud, un conseiller honoraire à la Cour des
comptes, un ancien élève de l'Ecole polytechnique, un comte (conseiller
honoraire à la Cour d'appel de Paris), un ingénieur en chef honoraire des
manufactures de l'Etat, un libraire. Ces deux derniers administrateurs
participent aussi à la Société des eaux minérales de Châtel-Guyon. Les
personnalités réunies autour de François Brocard, outre leur apport financier,
contribuent par leurs compétences personnelles à la réussite de l'entreprise,
par exemple le libraire-éditeur Germer Baillière publie les guides touristiques
pour ces stations et des plaquettes publicitaires.
A La Bourboule, on retrouve les mêmes personnes, avec un représentant d'une
banque locale : la banque Chalus et frères de Clermont-Ferrand. Ainsi se mêlent
intérêts locaux et intérêts parisiens.
Il faut s'arrêter sur François Brocard qui a été à l'origine pour une grande
part de la réussite du thermalisme auvergnat de la fin du XIXe siècle. Né à
Aumont (Jura) le 9 novembre 1830, ses parents sont quincailliers. On ne sait
rien avant 1860, date à laquelle selon ses propres écrits, que ne corrobore
aucun document, il crée une banque à Paris. La banque Brocard est constituée en
société par actions au capital social de 2 millions de francs. Le choix de faire
appel à des actionnaires est sans doute imputable aux faibles ressources
personnelles de son fondateur, et à la possibilité de compter sur le soutien de
ses actionnaires. Quant au capital social, son montant n'a que peu de
signification, puisqu'il ne reflète ni les ressources propres du fondateur, ni les
ressources empruntées. La banque Brocard est une banque industrielle ; elle
évolue aussi dans le monde de la bourse, ce qui explique en partie la fondation
par François Brocard du journal " La Rente " 4. Le rêve de réunion de
différentes stations thermales auvergnates sous la même gestion prend fin
avec sa mort en 1897. François Brocard, banquier parisien, a su intéresser au
thermalisme auvergnat des investisseurs issus de plusieurs horizons
professionnels et géographiques. Le capitalisme auvergnat bien que présent
demeure souvent minoritaire.
Le mirage de l'Eldorado Il paraît intéressant de s'attarder sur les motivations des investisseurs dans
le thermalisme et sur cet eldorado que représentent bien souvent les stations
thermales dans leur esprit. Si la constitution de puissantes sociétés
capitalistes, les sociétés par actions, paraît former le stade ultime et idéal de
la gestion thermale, ce constat est loin de se vérifier auprès de tous les
griffons ; les exemples sont nombreux d'échecs patents malgré la présence d'un
important regroupement financier.
En dépit de ces revers, le thermalisme apparaît comme un eldorado, une " terre
promise " où l'échec paraît impossible et où l'eau minérale se transforme en or
à coup sûr. Il ne faut pas uniquement limiter l'intérêt du capitalisme pour le
thermalisme à la seule recherche du profit, le capitalisme pouvait aussi d'une
certaine façon rechercher une légitimité, démontrer sa capacité à s'occuper de
santé publique et parfois plus efficacement que les pouvoirs publics. Le
capitalisme peut ainsi pallier les manques ou en tout état de cause les
insuffisances des communes et de l'Etat, même en matière de santé publique.
L'argument avancé par certaines sociétés des eaux pour justifier leur présence
dans la gestion du thermalisme d'être des garantes de l'eau médicale et plus
largement de la santé de la population est mis en avant par les sociétés qui
gèrent l'eau potable dans les grandes villes : la première grande entreprise de
gestion de l'eau urbaine, la " Compagnie générale des eaux " fondée en 1853
annonce lors de sa création qu'elle ne cherche pas le profit mais qu'elle veut
avant tout rendre service à la société et rendre la vie urbaine plus salubre.
Les différents types de gestion favorisent l'existence d'un thermalisme à
plusieurs vitesses, une diversité que l'on constate surtout à la fin du XIXe
siècle : des sources thermales demeurent gérées comme elles le sont depuis le
début du XIXe siècle, d'autres, bénéficiant d'investissements financiers
considérables, sont capables de créer toutes les infrastructures nécessaires
et éventuellement de résister à des fluctuations de fréquentation.
En dépit d'une domination du " privé " sur le " public ", du moins si l'on retient
le critère de la nature du propriétaire des sources, il semble que les
principales stations thermales françaises du XIXe siècle (Vichy, Luchon, le
Mont-Dore, La Bourboule, Cauterets, Bagnères-de-Bigorre...) ont bénéficié
d'une gestion mixte du thermalisme, c'est-à-dire une possession des sources
par l'Etat ou des communautés territoriales et l'intervention de particuliers
ou de sociétés " capitalistes " venus apporter des capitaux dans un souci de
rentabilité, tout en étant fortement limités dans leur action par le contrôle
des propriétaires publics.
Au fil du XIXe siècle se profile une évolution dans l'administration des
sources, avec une montée en puissance des capitaux nécessaires, accompagnée
d'une croissance des associations pour gérer les sources.
Peu à peu, de structures familiales ou individuelles demandant peu de capitaux,
l'économie thermale évolue vers des structures plus " lourdes ", qui reposent
sur des investissements croissants, ce qui n'exclut pas le maintien parallèle de
certaines organisations " archaïques " d'administration thermale. L'économie
thermale s'avère parfois peu rentable, les réussites sont peu nombreuses, les
succès individuels encore plus rares, et pourtant ils servent d'étendard et de
faire-valoir. La bonne volonté ne suffit pas à créer une entreprise thermale
viable et surtout capable de rivaliser avec les stations thermales les plus
importantes. Néanmoins, tout au long du XIXe siècle des sources parviennent
au succès : le marché thermal n'est pas sclérosé.
Le thermalisme, à quelques exceptions près, n'a pas permis l'enrichissement de
ses gestionnaires, tout au plus la confirmation de fortunes déjà établies.
Investir dans l'eau minérale peut être un moyen d'investissement pour des
personnes déjà en possession d'un patrimoine et de revenus importants.
Le thermalisme, du moins dans la gestion des eaux minérales, n'a pas été un réel
facteur d'ascension sociale, même si être gestionnaire ou propriétaire d'une
source d'eau minérale pendant une grande partie du XIXe siècle permet de
jouir d'une position privilégiée au sein des sociétés locales, notamment en tant
que vecteur économique et social pour le développement futur du village ou de la
ville.
Après avoir débuté par une citation de Jules Romains, concluons par une
citation de Guy de Maupassant lorsqu'il décrit dans son roman "Mont-Oriol"
l'enthousiasme du banquier Andermatt promoteur d'une nouvelle station
thermale : " Je vais probablement tenter une grosse affaire : une ville d'eaux.
Je veux lancer une ville d'eaux... Le grand combat aujourd'hui c'est avec
l'argent qu'on le livre... Nous sommes les puissants d'aujourd'hui, voilà, les
seuls vrais, les seuls puissants.
Tenez regardez ce village, ce pauvre village. J'en ferai une ville, moi, une ville
blanche, pleine de grands hôtels qui seront pleins de monde, avec des
ascenseurs, des domestiques, des voitures, une foule de riches servie par une
foule de pauvres, et tout cela parce qu'il m'aura plu, un soir, de me battre avec
Royat, (fig. n°13) qui est à droite, avec Châtel-Guyon qui est à gauche, avec Le
Mont-Dore, La Bourboule.... J'en ai maintenant pour trois ans de plaisirs avec
ma ville. "
Commentaires
Mais beaucoup de passages de Mont-Oriol sont fascinants d'exactitude sur l'Essor du Thermalisme, son aspect spéculatif. Et l'adultère, - mes amis! -, c'était pour beaucoup dans l'efficacité thérapeutique de nos stations.
Une remarque, un fait qui m'interpelle : les grands artistes qui sont passés par la vallée échouent tous entre l'Esterel, Cannes et Antibes ( Maupassant, Guillaumin). Singulier, non ?